REPARATIONS LOCATIVES ET PREJUDICE DU BAILLEUR

L’essentiel. L’indemnisation du bailleur en raison de l’inexécution par le preneur des réparations locatives prévues au bail n’est pas subordonnée à l’exécution de ces réparations.

Le bâtiment repris ayant été démoli par le bailleur, la cour d’appel devait rechercher si le préjudice à raison de l’inexécution de l’obligation d’entretien du locataire n’avait pas existé jusqu’à démolition du bien. Cass. 3ème civ. 11 mars 2014, n° 12-28.396, Société Les Nauzes c/ Société Trapi Pro, F-D (cassation CA Agen, 17 septembre 2012), M. Terrier, prés. ; Mme Andrich, rapp. ; Mme Guilguet-Pauthe, av. gén. ; SCP Didier et Pinet et SCP Bouzidi et Bouhanna, av.Note par Jehan-Denis BARBIER.

Lorsque le locataire restitue les lieux loués en mauvais état, le bailleur peut lui demander des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’inexécution des réparations locatives prévues au bail.Dans la présente affaire, la Cour de cassation rappelle deux règles. En premier lieu, l’indemnisation du bailleur, conformément au droit commun, suppose une faute, un préjudice et un lien de causalité.

Mais le bailleur peut être indemnisé sans avoir à justifier de l’exécution effective des réparations locatives (1). L’indemnité due par le preneur ne correspond pas à un remboursement de réparations locatives effectuées par le bailleur. Le bailleur n’est pas davantage obligé de réutiliser l’indemnité dans des travaux de remise en état. Conformément au droit commun de la responsabilité, il peut utiliser son indemnité comme bon lui semble. Cependant, la seconde règle, issue également du droit commun, oblige le bailleur à faire la preuve d’un préjudice réel. S’il n’est pas obligé d’effectuer les réparations locatives, encore faut-il qu’il démontre que le défaut d’entretien du preneur lui a causé un préjudice, ainsi que le lien de causalité entre les deux.

C’est ce qu’avait jugé la Cour de cassation en 2003 dans une affaire où le bailleur avait repris des locaux, malgré leur mauvais état, et les avait reloués à un autre locataire qui, de toutes façons, devait tout réaménager pour sa propre exploitation. Il avait été jugé que, bien que le preneur fût fautif en restituant des locaux en mauvais état, le bailleur quant à lui n’avait subi aucun préjudice, ce deuxième élément de la responsabilité faisant défaut. La Cour de cassation avait rappelé que « les dommages et intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu’il est résulté un préjudice de la faute contractuelle » (2). Sur le même fondement, il avait été jugé qu’aucune indemnité n’était due à un bailleur pour des réparations locatives sur des locaux qui devaient être détruits (3).L’existence du préjudice s’apprécie à la date où les juges statuent.

Dans l’affaire commentée, la Cour d’appel avait suivi cette jurisprudence et avait débouté la société bailleresse de sa demande d’indemnisation au motif que, lorsqu’elle avait assigné afin de reprise, elle avait d’ores et déjà déposé un permis de construire comprenant des démolitions. De fait, le bâtiment sera démoli ultérieurement. Sur le pourvoi de la société bailleresse, l’arrêt est cassé. La Cour de cassation estime que les juges du fond auraient du vérifier si la bailleresse n’avait pas subi un préjudice « à raison de l’inexécution de l’obligation d’entretien du locataire (…) jusqu’à démolition du bien ».Si la démolition du bien fait disparaître la nécessité des réparations locatives et, dès lors, le préjudice, il faut apprécier la situation du bailleur entre la date de restitution des locaux et la date de la démolition effective du bien. Pendant la période précédant la démolition du bien, le bailleur peut avoir subi un préjudice si, par exemple, il n’a pas pu utiliser ce bien en raison de son état.

EXTRAIT DE L’ARRÊT. Sur le moyen unique, ci-après annexé :Vu l’article 1147 du code civil, ensemble l’article 1731 du même code. Attendu, selon l’arrêt attaqué (Agen, 17 septembre 2012), que la SCI Les Nauzes (la SCI) est propriétaire de divers locaux à usage commercial donnés à bail, selon acte du 2 décembre 1985, à la société Comptoir électrique villeneuvois, aux droits de laquelle est venue la société Trapy Pro ; que la locataire a donné congé pour le 31 décembre 2008 ; qu’un état des lieux contradictoire a été dressé le 30 décembre 2008 ; qu’après expertise, la SCI a assigné la société Trapy Pro en réparation de son préjudice. Attendu que pour débouter la SCI de ses demandes, l’arrêt retient que la chronologie démontre qu’à la date de l’assignation au fond, le 19 juillet 2010, la décision de démolir, au moins pour partie, l’immeuble avait déjà été prise la SCI ayant déposé le 7 avril 2010 une demande de permis de construire comprenant des démolitions, qu’elle ne verse pas aux débats de plans clairs permettant d’identifier les locaux loués, des modifications, démolitions ou extensions projetées et ne produit pas de cahier des charges des travaux envisagés justifiant de la conservation des parties objets des revendications au titre de la remise en état, que trois mois après l’assignation au fond, la SCI, envisageait la démolition du bâtiment et que si le rapport d’expertise démontre les manquements du preneur à ses obligations contractuelles, le bailleur, qui ne justifie pas d’avoir exécuté les réparations locatives, ni ne démontre avoir cherché à relouer les locaux ou avoir subi une privation de jouissance, pas plus qu’il ne verse d’éléments démontrant que la démolition des locaux est consécutive à l’impossibilité de les remettre en état du fait des dégradations reprochées au preneur ou de les vendre au prix du marché, ne rapporte pas la preuve d’un préjudice indemnisable à la date où la cour d’appel statue. Qu’en statuant ainsi alors que l’indemnisation du bailleur en raison de l’inexécution par le preneur des réparations locatives prévues au bail n’est pas subordonnée à l’exécution de ces réparations, la cour d’appel, qui n’a pas recherché si le préjudice à raison de l’inexécution de l’obligation d’entretien du locataire n’avait pas existé jusqu’à démolition du bien, n’a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS.CASSE ET ANNULE (…) (1)Cass. 3e civ., 3 avril 2001, Loyers et copr. 2001 n°139 ; Cass. 3e civ. 3 décembre 2003, n°02-10.980 (2)t Cass. 3e civ., 3 décembre 2003, Gaz. Pal. des 20 et 21 février 2004 p.27.(3)Cass. 3e civ. 3 décembre 2003, n°02-17.933

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