Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, réformant la procédure civile, modifie les articles R. 145-26, R. 145-27, R. 145-28, R. 145-29 et R.145-31 du Code de commerce concernant la procédure de fixation du loyer devant le juge des loyers commerciaux. La principale nouveauté est l’obligation, pour les parties, de constituer avocat. Les mémoires doivent être signés par un avocat. Nous reprendrons le déroulement classique d’une procédure pour apprécier les changements opérés par les nouvelles dispositions.
– LE MÉMOIRE PRÉALABLE.
La règle processuelle particulière, figurant à l’article R. 145-27 du Code de commerce, selon laquelle : « Le juge ne peut, à peine d’irrecevabilité, être saisi avant l’expiration d’un délai d’un mois suivant la réception par son destinataire du premier mémoire établi », n’a pas été modifiée. Par cette disposition qui date de 1972, le législateur avait voulu réserver aux parties un délai de réflexion d’un mois pour se rapprocher éventuellement. Il est interdit d’assigner avant l’expiration de ce délai. Le droit des baux commerciaux était à cet égard précurseur des divers mécanismes de conciliation ou médiation préalable qui sont aujourd’hui à la mode.Comme le juge ne peut pas être saisi avant l’expiration du délai d’un mois suivant le premier mémoire, on qualifie celui-ci de « mémoire préalable ». Il constitue, par définition, un acte antérieur à la procédure. Le mémoire a une nature hybride [1]. Le mémoire préalable, nécessairement antérieur à l’assignation et à la saisine du juge, n’est pas considéré comme un acte de procédure [2]. Sa signature ne constitue pas un acte de représentation en justice ; c’est la raison pour laquelle, avant la réforme du 11 décembre 2019, on considérait qu’il pouvait être signé par tout mandataire [3]. En revanche, un mémoire notifié après la saisine du juge constitue un acte de procédure [4]. Désormais, que ce soit avant ou après la saisine du juge, les mémoires doivent être signés exclusivement par les avocats des parties, comme cela est prévu par le nouveau texte de l’article R. 145-26. La partie concernée, elle-même, ne peut pas signer son mémoire.
Cependant, la distinction ci-dessus évoquée entre le mémoire préalable, qui n’est pas un acte de procédure, et les mémoires postérieurs à la saisine du juge, qui sont des actes de procédure, conserve son intérêt lorsque les locaux litigieux sont situés en dehors du ressort de la cour d’appel où exerce habituellement l’avocat de la partie concernée, puisqu’il faut alors tenir compte de la territorialité de la postulation. L’article R.145-29 du Code de commerce modifié dispose en effet que les parties sont tenues de constituer avocat. Mais cette constitution n’est pas nécessaire au stade du mémoire préalable ; elle ne s’imposera qu’au moment de l’engagement de la procédure, lorsqu’il faudra saisir un juge des loyers commerciaux. Ainsi, le mémoire préalable peut être signé par tout avocat. En revanche, les mémoires postérieurs à l’assignation, en tant qu’actes de procédure, ne peuvent être signés que par un avocat postulant. Supposons une société lyonnaise, qui a son avocat habituel à Lyon, mais qui doit engager une procédure pour des locaux situés à Marseille. L’avocat lyonnais est parfaitement habilité à signer le mémoire préalable, bien qu’il ne soit pas postulant[5]. Mais les mémoires postérieurs à l’assignation devront être signés par un avocat postulant sur Marseille
II – LE MÉMOIRE EN RÉPONSE
Le locataire qui reçoit un mémoire préalable de son bailleur croit parfois qu’il est dans l’obligation d’y répondre dans le délai d’un mois. La situation peut être anxiogène, vu la brièveté du délai pour consulter un avocat, étudier le dossier, et lui faire signer un mémoire en réponse. En réalité, le délai d’un mois, lorsqu’il est mentionné dans la notification du mémoire préalable, renvoie seulement au délai pendant lequel il n’est pas possible de saisir le juge, comme il est dit au premier alinéa de l’article R.145-27 du Code de commerce. Le locataire (ou le propriétaire lorsque c’est lui qui est en défense) dispose de tout le temps nécessaire pour notifier son mémoire en réponse, puisqu’il peut l’être même après l’assignation, et même jusqu’à la date de l’audience, conformément à l’article 844 du Code de procédure civile, sous réserve toutefois de prévoir le petit délai nécessaire au retour de l’accusé de réception de la lettre recommandée de notification du mémoire.
Le mémoire en réponse devra donc être signé et notifié par un avocat. Si l’assignation n’a pas encore été délivrée, il ne sera pas nécessaire de demander à un avocat postulant d’intervenir. On peut toutefois s’interroger, compte tenu de la réforme, sur le destinataire de ce mémoire en réponse. Jusqu’à présent, le mémoire en réponse pouvait être adressé soit à la partie elle-même, soit, de la part du locataire, au gérant de l’immeuble, conformément à la dernière phrase du premier alinéa de l’article R.145-26 du Code de commerce : « La notification est valablement faite par le locataire au gérant de l’immeuble », c’est-à-dire à l’administrateur de biens du bailleur. Cette mention n’a pas été modifiée. Il est donc toujours possible de notifier un mémoire au gérant de l’immeuble (on reviendra toutefois sur ce point à propos des mémoires qui doivent être notifiés après l’assignation : voir ci-après).
Comme désormais, par définition, le défendeur doit prendre un avocat, ce dernier va-t-il notifier sa lettre recommandée à la partie elle-même ou à l’avocat adverse ? L’article R.145-26 n’a pas été modifié, en ce qu’il indique toujours : « Les mémoires sont notifiés par chacune des parties à l’autre par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ». Toutefois, lorsqu’une disposition du Code de procédure civile mentionne « la partie », cela vise l’avocat, lorsqu’il est constitué. Mais, dans l’hypothèse présentement étudiée, il n’y a pas encore de constitution, puisque l’assignation n’a pas été délivrée. L’avocat du locataire, en défense, peut donc hésiter à notifier son mémoire en réponse soit à son confrère, auteur du mémoire préalable, soit au bailleur lui-même, soit encore au gérant de l’immeuble. Les trois modalités paraissent possibles. En pratique, il est peu probable que les juridictions aient à se prononcer sur ce sujet, car il est toujours possible, pour le défendeur, de notifier un nouveau mémoire après la délivrance de l’assignation et avant l’audience.
III – L’ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE
Avant la réforme du texte par le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019, le ministère d’avocat n’était pas obligatoire. Désormais, le nouvel article R. 145-29 dispose : « Les parties sont tenues de constituer avocat ».
1° – La prise de date. L’article R. 145-28 dispose, comme précédemment, qu’il est procédé conformément à la procédure à jour fixe, étant observé que les articles du Code de procédure civile concernant cette procédure ont été modifiés : il s’agit désormais des articles 840 à 844. Cependant, pour obtenir une date d’audience, l’article R.145-27 alinéa 2, inchangé sur ce point, dispose que : « La partie la plus diligente remet au greffe son mémoire aux fins de fixation de la date de l’audience ». La mention de l’ancien texte : « La remise peut être faite par la partie elle-même ou pas un avocat » a été supprimée. Comme les parties sont tenues de constituer avocat, il paraît nécessaire que ce soit désormais l’avocat postulant qui dépose le mémoire et les pièces au greffe, pour obtenir une date d’audience. Certains greffiers souhaitent obtenir en même temps une copie du projet d’assignation, sur lequel figurera nécessairement le nom de l’avocat postulant. On observera que le renvoi à l’article 840 du Code de procédure civile par l’article R. 145-28 du Code de commerce procède manifestement d’une erreur, puisque l’article 840 vise la requête à fin d’assigner à jour fixe. Or, dans la procédure en matière de baux commerciaux, il n’y a pas lieu de présenter une requête, et le juge n’a pas à rendre une ordonnance. C’est le greffe qui donne la date d’audience. Il n’y a pas de motif d’urgence à exposer. Une ordonnance autorisant à assigner n’aurait pas de sens, pour la simple raison que le juge des loyers commerciaux ne peut pas refuser une date d’audience, comme peut le faire le Président du tribunal dans la procédure à jour fixe classique qui a le pouvoir d’apprécier les motifs de l’urgence.
2° – L’assignation. L’assignation devra comporter la constitution de l’avocat postulant. La disposition finale de l’article R. 145-28 du code de commerce n’a pas été modifiée : l’assignation n’a pas à reproduire les éléments déjà portés à la connaissance du défendeur. On sait que l’assignation se borne à renvoyer aux demandes figurant dans le mémoire préalable. Elle ne comporte pas l’argumentation du demandeur. Elle ne constitue qu’une simple convocation à l’audience. Le juge ne statue pas sur l’assignation, mais sur le mémoire comme il est dit à la fin du premier aliéna de l’article R. 145-23 du Code de commerce. Ainsi, un avocat postulant mentionnera dans son assignation un mémoire préalable rédigé par l’avocat plaidant. Le juge, dans une procédure écrite, avec constitution d’avocat, statue sur un mémoire rédigé et signé par l’avocat plaidant, ce qui reste une originalité. Il est vrai que dans la plupart des cas, d’autres mémoires auront été échangés, nécessairement signés par l’avocat postulant, puisque postérieurs à l’assignation. Mais, en théorie du moins, les mémoires ne sont pas récapitulatifs, contrairement aux conclusions, et le juge des loyers commerciaux reste bien saisi du mémoire préalable.
L’assignation devra préciser que, conformément aux dispositions des articles 842 du Code de procédure civile et R.145-29 du Code de commerce, le défendeur est tenu de constituer avocat avant la date de l’audience, étant précisé que le délai de quinzaine prévu à l’article 763 du Code de procédure civile ne s’applique pas dans le cadre de la procédure à jour fixe. L’assignation peut préciser que, conformément aux dispositions de l’article L.212-5-1 du Code de l’organisation judiciaire, le demandeur accepte que la procédure se déroule sans audience. Toutefois cette mention, si elle peut être tentante pour obtenir rapidement la désignation d’un expert au cas où les deux parties seraient d’accord, risque d’être dangereuse pour la procédure après expertise, puisque l’article L.121-5-1 du Code de l’organisation judiciaire dispose que la procédure est, dans ce cas, « exclusivement écrite », sans distinguer les audiences avant ou après expertise.
IV – LES MÉMOIRES ULTÉRIEURS.
Bien que prévoyant désormais une constitution d’avocat obligatoire, le législateur a maintenu les notifications par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Pour les mémoires postérieurs à l’assignation, l’auteur du mémoire sera nécessairement l’avocat postulant. On peut toutefois s’interroger à nouveau, comme pour le mémoire en réponse, sur le destinataire des mémoires en cours de procédure. L’administrateur de biens pourra-t-il toujours en être destinataire ? la dernière phrase de l’article R. 145-26 du Code de commerce, qui permet la notification « par le locataire au gérant de l’immeuble » est applicable à tous les mémoires et ne distingue pas le mémoire antérieur à l’assignation du mémoire postérieur. La jurisprudence aura à trancher cette question mais il nous semble que, dès lors que les avocats sont constitués, la notification devrait se faire entre eux. Pourra-t-on toujours notifier le mémoire à l’autre partie personnellement ? Il serait bien curieux qu’un avocat postulant n’adresse pas son mémoire à son confrère postulant, mais à la partie elle-même. Il reste que le texte n’est guère précis. On peut également s’interroger sur les notifications des mémoires par RPVA, qui est la voie normale entre avocats constitués, alors que le législateur a maintenu la formalité de la lettre recommandée. En l’état, les éventuelles notifications par RPVA ne sauraient remplacer la lettre recommandée.
V – L’AUDIENCE
L’article R. 145- 29 du Code de commerce dispose toujours que les « parties (…) ne peuvent, ainsi que leur conseil, développer oralement, à l’audience, que les moyens et conclusions de leurs mémoires ». Le législateur semble ici vouloir encourager les débats oraux, par « les parties » elles-mêmes, dans une procédure pourtant écrite avec représentation obligatoire…Par ailleurs, le renvoi par l’article R. 145-28 à l’article 844 du Code de procédure civile est, là encore, imprécis. Le deuxième alinéa de l’article 844 du Code de procédure civile qui dispose que l’affaire peut être plaidée en l’état « même en l’absence de conclusions du défendeur ou sur simples conclusions verbales » est inapplicable à la procédure en matière de baux commerciaux. Elle reste une procédure écrite, toutes conclusions verbales étant exclues. Avant la codification du statut des baux commerciaux, l’article 29-2 du décret du 30 septembre 1953 renvoyait déjà la procédure à jour fixe, mais précisait que cette procédure était applicable « en tant que de raison ». Le législateur codificateur a supprimé, à tort, la mention « en tant que de raison ». Elle reste sous-entendue.
VI – DROIT TRANSITOIRE
Les nouvelles dispositions sont applicables aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020.rn Les mémoires préalables qui ont été notifiés avant le 1er janvier 2020 restent valables, même lorsqu’ils ont été signés par la partie elle-même ou par son administrateur de biens, ou par un autre mandataire. Les nouvelles dispositions sont donc applicables aux assignations délivrées à compter du 1er janvier 2020. [1] Sur ce point, v. Maymat : AJPI, déc. 1980, p. 860 ; Lehman, AJPI, janv. 1985, p. 22.rnrn[2] CA Paris, 25 oct. 1977, Gaz. Pal. Rec. 1978, 1, p. 108, note P.-H. Brault. [3] Cass. 3e civ., 10 févr. 1981, Gaz. Pal. Rec. 1981, 2, som., p. 210 ; Bull. civ. III, n° 27 ; Rev. loyers 1981, p. 257, note J.V. [4] Cass. 3e civ., 6 juin 1984, Bull. loyers 1984, n° 373 ; Gaz. Pal. Rec. 1984, 2, pan., p. 275 ; Bull. civ. III, n° 112 ; JCP G 1984, IV, p. 259.[5] A vrai dire, le choix d’un avocat postulant ne se pose pas au moment de la notification du mémoire préalable, pour la simple raison qu’il n’est pas possible de se constituer devant un juge qui n’est pas encore saisi.