Cass. 12 et 19 décembre 2019 – Clause d’indexation réputée non écrite.

RÉSUMÉ

Par acte du 30 août 2005, le bail commercial a été renouvelé aux conditions et clauses du bail antérieur, en ce compris sa clause d’indexation annuelle. Du fait d’une extension de la surface louée, le loyer a été augmenté de 5 % à compter du 1er août 2010. Le 1er octobre 2010, la clause d’indexation annuelle a été appliquée à cette augmentation de loyer. Le 8 mars 2016, la société locataire a assigné la société bailleresse aux fins de voir réputée non écrite la clause d’indexation et restituer les sommes trop versées. Doit être cassé l’arrêt qui rejette ces demandes. Après avoir constaté qu’en l’état de révisions prévues annuellement, les parties étaient convenues de comparer l’indice de révision à l’indice de base fixe du premier trimestre 1997, antérieur de plus d’un an à la période de révision, ce dont il résultait une distorsion, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier (première espèce).

La société bailleresse ayant donné à bail un local commercial pour une durée de neuf années à compter du 5 avril 2005, moyennant un loyer indexé annuellement sur l’indice du coût de la construction, le preneur a, le 22 juillet 2015, assigné le bailleur aux fins de voir déclarer réputée non écrite la clause d’indexation stipulée au bail et de lui rembourser les sommes indument versées à ce titre. La cour d’appel qui rejette cette demande, tout en constatant que la clause comportait en elle-même une distorsion entre l’intervalle de variation indiciaire et la durée s’étant écoulée entre le 5 avril 2005, date de prise d’effet du bail, et le 1er janvier 2006, date de révision du loyer, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier (seconde espèce).

COMMENTAIRE PAR JEHAN-DENIS BARBIER

Voici deux nouveaux arrêts qui viennent compléter – ou plus précisément confirmer – la jurisprudence de la Cour de cassation sur les clauses d’indexation comportant un indice de base fixe. On se souvient que ces clauses ont donné lieu à de nombreux commentaires de la doctrine[1].

Après de longs débats, la Cour de cassation avait tranché par un arrêt du 11 décembre 2013, en décidant que la stipulation d’un indice de référence fixe était valable, dès lors que son application n’avait pas conduit à créer une distorsion, lors des réajustements, entre l’intervalle de variation indiciaire et la durée s’écoulant entre deux indexations[2]. Puis, dans un certain nombre de décisions ultérieures, la 3ème chambre civile paraissait avoir admis que certaines distorsions involontaires pouvaient échapper à la sanction du réputé non écrit et que les juges du fond pouvaient, dans certains cas, adapter la clause d’indexation, non l’annuler[3].

La Cour de cassation avait notamment admis qu’une distorsion lors de la première indexation ne soit pas sanctionnée, dès lors que les indexations suivantes ne la renouvelaient pas[4]. Mais, par les deux arrêts présentement rapportés, la Cour de cassation reproche à des cours d’appel de n’avoir pas sanctionné une distorsion et d’avoir rejeté des demandes de locataires, visant à voir juger des clauses d’indexation non écrites et à se faire rembourser les trop-versés de loyer. Dans la première affaire (arrêt du 12 décembre 2019), un bail, qui avait pris effet le 1er octobre 1997, comportait une clause d’indexation annuelle au 1er octobre de chaque année, en visant comme indice de base celui du premier trimestre 1997. Ultérieurement, ce bail avait été renouvelé, par acte du 30 août 2005, mais, maladroitement, la clause d’indexation du bail expiré avait été reproduite mot pour mot, notamment la mention de l’indice du 1er trimestre 1997 comme indice de base fixe. En outre, il avait été convenu qu’en contrepartie d’une extension de l’assiette du bail, le loyer était augmenté à compter du 1er août 2010. De fait, en pratique, le bailleur avait calculé l’indexation chaque année en prenant l’indice du 1er trimestre de l’année de l’indexation qu’il avait comparé à l’indice du 1er trimestre de l’année précédente, sans revenir, comme le prévoyait la clause, au 1er trimestre 1997.

Or, le 1er octobre 2010, le bailleur appliqua la clause d’indexation au loyer qui avait été majoré au 1er août 2010. Alors que le loyer majoré datait de deux mois, la variation de l’indice fut appliquée sur un an. La Cour d’appel avait considéré qu’il n’y avait pas lieu d’annuler la clause d’indexation, alors que le bailleur en avait fait seulement « une mauvaise application » qu’il suffisait de corriger.

La Cour avait « invité les parties à procéder à une réécriture de la clause litigeuse pour résoudre les contradictions constatées et en faciliter l’application pour l’avenir ». Cette dernière observation est très dans l’air du temps. On ne juge plus. On rapproche, on concilie, on s’aime, on invite les parties à faire leurs comptes en bonne entente[5], on leur suggère de réécrire gentiment leurs clauses. La Justice n’a plus les moyens de juger et les juges en ont perdu le goût. Da mihi factum, judicium non dabo.

Le pourvoi dénonçait le déni de justice, mais ce n’est pas sur ce fondement que l’arrêt est cassé. La Cour de cassation reproche à la cour d’appel de ne pas avoir déclaré non écrite la clause d’indexation, alors qu’elle avait constaté l’existence d’une distorsion puisque « en l’état de révisions prévues annuellement, les parties étaient convenues de comparer l’indice de révision à l’indice de base fixe du premier trimestre 1997, antérieur de plus d’un an à la période de révision ». Dans la seconde affaire (arrêt du 19 décembre 2019), le bail comportait également un indice de base fixe : celui du 3ème trimestre 2004. Le bail avait pris effet le 5 avril 2005, mais la première indexation avait été convenue au 1er janvier 2006. Il n’y avait donc que huit mois et vingt-cinq jours entre le point de départ du bail et la date de l’indexation, alors que la variation des indices devait s’appliquer sur un an.

La Cour d’appel avait pensé que cette clause pouvait échapper à la sanction du réputé non écrit, au motif qu’il s’agissait de la première indexation. La Cour de cassation elle-même n’avait-elle pas jugée qu’une première indexation comportant un décalage illicite mais ponctuel ne devait pas être sanctionnée, dès lors que les périodes d’indexation suivantes étaient régulières[6] ? Toutefois, en l’occurrence, comme la clause comportait un indice de base fixe, la distorsion devait se perpétuer lors de chaque indexation. Comme le relevait le moyen du pourvoi, la rédaction de la clause entrainait « automatiquement une distorsion similaire lors des révisions successives du loyer ».

Pour la seconde indexation, la variation de l’indice était retenue sur deux ans, alors que la durée écoulée était d’un an, huit mois et vingt-cinq jours. Pour la troisième indexation, la variation de l’indice était sur trois ans, alors que la durée écoulée était de deux ans, huit mois et vingt-cinq jours. Etc. L’arrêt est cassé puisque « la clause comportait en elle-même une distorsion ». En l’état des nombreuses décisions rendues, la jurisprudence de la Cour de cassation paraît s’ordonner autour de deux distinctions.  Il faut distinguer, d’une part, selon que la distorsion résulte du contrat lui-même ou de la mise en œuvre d’une fixation légale ; d’autre part, selon que la clause d’indexation comporte ou non un indice de base fixe

I – DISTORSION RÉSULTANT DE LA MISE EN ŒUVRE D’UNE FIXATION LÉGALE

En présence d’une clause d’indexation classique, ne comportant en elle-même aucune distorsion, une difficulté peut survenir lorsque le renouvellement du bail intervient à une date différente de celle de l’indexation contractuelle. Supposons un bail conclu à effet du 1er janvier, avec une indexation parfaitement régulière au 1er janvier de chaque année, en fonction de la variation de l’indice sur un an. Supposons qu’arrivé à son terme, ce bail se poursuive par tacite prolongation et qu’il fasse l’objet d’un renouvellement, par exemple, à effet du 1er juillet.

La clause d’indexation deviendrait de ce fait inapplicable puisque, si l’on fait jouer l’indexation au 1er janvier, on ne respecte pas la périodicité annuelle prévue par la clause, et si l’on fait jouer l’indexation un an après la date du renouvellement, on ne respecte pas la date du 1er janvier contractuellement prévue. Dans un tel cas, la Cour de cassation a jugé que la clause d’indexation restait néanmoins valable puisque « la distorsion retenue ne résultait pas de la clause d’indexation elle-même, mais du décalage entre la date du renouvellement et la date prévue pour l’indexation »[7]. La clause d’indexation elle-même ne comportait aucun décalage. C’est la mise en œuvre d’une fixation légale, à une date différente de celle de l’indexation, qui avait provoqué un décalage, qu’il appartenait au juge de corriger. La clause d’indexation ne devait pas être réputée non écrite, car la mise en œuvre d’une disposition légale ne pouvait avoir pour effet de créer une distorsion prohibée par la loi et d’entrainer la mise à néant d’une clause valable. Cela a également été jugé suite à un décalage résultant d’une révision légale. Dans une affaire où l’indexation a joué au 1er juillet de chaque année, une demande de révision légale déplafonnée avait été notifiée un 23 décembre. Il fut jugé que si le loyer révisé était fixé à une date différente de celle prévue par la clause d’indexation, le juge devait alors adapter la clause d’indexation à la date de prise d’effet du nouveau prix. Les juges avaient relevé que « la révision du loyer ne pouvait elle-même organiser la distorsion prohibée par la loi »[8].

Ainsi, lorsque le décalage, en principe prohibé par la loi, ne résulte pas de la clause contractuelle elle-même, mais de la mise en œuvre d’une disposition légale, il n’y a pas lieu de condamner le contrat. Mais il en va différemment lorsque la distorsion ne résulte pas de la mise en œuvre d’une fixation légale, mais de la clause elle-même.

II – DISTORSION RÉSULTANT DE LA CLAUSE CONTRACTUELLE

La clause d’indexation peut être mal rédigée sans qu’il y ait pour autant une intention frauduleuse. Il peut arriver, dans un bail type, que l’on recopie une clause d’indexation au 1er janvier de chaque année, alors qu’en fait le bail prend effet à une autre date. Il faut alors distinguer selon que la clause comporte un indice de base fixe ou

A – EN L’ABSENCE D’INDICE DE BASE FIXE

Si la clause est bien rédigée et s’il est stipulé que, loin de revenir lors de chaque indexation à un indice de base initial fixe, on prendra chaque année le dernier indice connu et l’indice de l’année précédente, une éventuelle distorsion lors de la première indexation ne se répercutera pas sur les indexations suivantes. Dans un tel cas, la Cour de cassation, indulgente, a admis que la clause prévoyant un premier ajustement, illicite mais ponctuel, tenant à la prise d’effet du bail en cours d’année civile (le bail ayant pris effet le 1er juin et l’indexation étant prévue au 1er janvier), tandis que les périodes de référence suivantes avaient la même durée, n’était pas contraire aux dispositions de l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier[9]. En présence d’une telle clause, la maladresse affectant la première indexation ne se renouvelle pas. Les indexations suivantes auront bien lieu chaque année au 1er janvier avec une période de variation d’un an, l’indice n’étant pas fixe mais glissant. Il en va différemment, précisément, si la maladresse rédactionnelle se double d’un indice de base fixe qui a pour effet de la perpétuer.

B – EN PRÉSENCE D’UN INDICE DE BASE FIXE

C’est précisément l’existence d’un indice de base fixe qui, dans les deux arrêts commentés, conduit la Cour de cassation à décider que la clause doit être réputée non écrite. Cette sanction est encourue lorsqu’un avenant, en cours de bail, maintient la clause d’indexation initiale en l’appliquant au nouveau loyer convenu. Comme la clause oblige à revenir constamment à l’indice initial, alors que l’avenant a provoqué un décalage, toutes les indexations suivantes sont affectées. C’était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 décembre 2019, qui reprend en fait une jurisprudence antérieure, concernant un avenant intervenu en cours de bail, avec maintien de la clause d’indexation comportant un indice de base fixe[10].

En l’absence d’avenant, la clause elle-même peut comporter une distorsion lors de la première indexation. La stipulation d’un indice de base fixe répercutera la distorsion sur toutes les indexations suivantes. Tel était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 décembre 2019 qui reprend, lui aussi, une jurisprudence antérieure[11].

La clause doit être réputée non écrite. C’est la conjonction d’une fixation contractuelle décalée, avec le maintien d’un indice de base fixe, qui provoque la sanction.

[1] P.-H. Brault, « Sur l’indexation du loyer du bail commercial », Gaz. Pal., 5 mai 2009, p. 17 ; J.-D. Barbier et T. de Peyronnet, « L’indice à l’index », Gaz. Pal., 2 juillet 2011, p. 5 ; C. Denizot, « La clause d’indexation sous le contrôle du Code monétaire et financier », AJDI, février 2011, p. 134 ; A. de Galembert, « Étude des risques pesant sur la validité des clauses d’indexation », Rev. loyers, janvier 2011, p. 2 ; A. Antoniutti, « Baux commerciaux et ordre public monétaire et financier : le cas des clauses d’échelle mobile », Loyers et copr. 2017, dossier 11). [2] Cass. 3e civ., 11 déc. 2013, n° 12-22616, Gaz. Pal., 19 avril 2014, p. 26, note C.-E. Brault ; Administrer, février 2014, p. 31, note J.-D. Barbier. [3] Cass. 3e civ. 13 septembre 2018, n° 17-19525, Gaz. Pal. 20 novembre 2018, p. 67, note J.-D. Barbier, Loyers et copr. 2018, n° 226, note P.-H. Brault – Cass. 3e civ. 17 mai 2018, n° 17-15-146, Administrer juin 2018, p. 31, note J.-D. Barbier, Loyers et copr. 2018, n° 177, note P.-H. Brault. [4] Cass. 3e civ. 29 novembre 2018, n° 17-23058, Gaz. Pal. 11 décembre 2018, p. 44, Administrer janvier 2019, p. 27, note J.-D. Barbier. [5] Cass. 3e civ. 9 mars 2018, n° 17-70040, Administrer juillet 2018, p. 28, note J.-D. Barbier, Gaz. Pal. 17 juillet 2018, p. 61, note C.-E. Brault. [6] Cass. 3e civ. 29 novembre 2018, n° 17-23058, Gaz. Pal. 11 décembre 2018, p. 44, Administrer janvier 2019, p. 27, note J.-D. Barbier. [7] Cass. 3e civ., 13 septembre 2018, n° 17-19525, Gaz. Pal., 20 novembre 2018, p. 67, note J.-D. Barbier ; Loyers et copr. 2018, n° 226, note P.-H. Brault [8] Cass. 3e civ., 17 mai 2018, n° 17-15146, Administrer, juin 2018, p. 31, note J.-D. Barbier, Loyers et copr. 2018, n° 177, note P.-H. Brault – CA Versailles, 12e ch., 13 septembre 2016, n° 15/00657, Gaz. Pal., 14 mars 2017, pan., p. 84, note S. Chastagnier. [9] Cass. 3e civ. 29 novembre 2018, n° 17-23058, Administrer janvier 2019, p. 27, note J.-D. Barbier. 10] Cass. 3e civ. 26 février 2016, n° 14-28165, Administrer mai 2016, p. 25, note J.-D. Barbier.[11] Cass. 3e civ. 9 février 2017, n° 15-28691, Administrer mars 2017, p. 27, note J.-D. Barbier.

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