RÉSUMÉ :
Le bailleur, qui ne produit pas les justificatifs des charges d’eau ni des taxes d’ordures ménagères doit être condamné à rembourser au preneur les provisions sur charges réglées sur la période considérée.
COMMENTAIRE PAR JEHAN-DENIS BARBIER.
Cet arrêt retient l’attention en ce qu’il traite des charges, car il s’agit d’une question d’actualité (I). Mais la Cour de cassation statue également sur l’interprétation d’une clause de révision du loyer (II).
I – SUR LES CHARGES:
La justification des charges payées par les commerçants est un sujet d’actualité à double titre. D’une part, alors que les charges avaient donné lieu à fort peu de contentieux au cours des dernières décennies, depuis quelques années, les locataires sont plus regardants et veulent vérifier ce qu’ils payent. Cette vigilance est probablement un effet de la conjoncture économique conjuguée au constat de l’augmentation des charges locatives notamment dans les centres commerciaux.
D’autre part, la question des charges locatives a été mise sur le devant de la scène par la loi du 18 juin 2014, dite loi Pinel, qui avait pour principal objectif, précisément, de réglementer les charges locatives, compte tenu des abus résultant de l’ordre privé [1].
Indépendamment de la loi Pinel, la Cour de cassation a déjà rendu un arrêt remarqué, le 5 novembre 2014, en rappelant que le bailleur qui ne procède pas à la liquidation annuelle des charges et qui ne produit pas les justificatifs des dites charges, doit rembourser les provisions versées par la société locataire [2].En effet, par définition, des provisions sur charges sont provisoires. En fin d’année, il appartient au bailleur de les liquider en fonction des charges réelles. Cette obligation résulte du caractère provisoire des provisions. Il n’est pas nécessaire que le bail comporte une clause expresse. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 5 novembre 2014, le bail précisait qu’il serait procédé à une régularisation annuelle des charges. Mais, même en l’absence d’une telle clause, cette régularisation résulte nécessairement de la nature temporaire des provisions. A défaut de régularisation annuelle en fonction des charges réelles, les paiements ne correspondraient pas à des provisions, mais à des charges forfaitaires, ce qui n’est pas la même chose.
Mais il ne suffit pas de procéder abstraitement à une régularisation annuelle des charges. Encore faut-il justifier de la réalité desdites charges. Le compte de liquidation n’est pas un document unilatéral par lequel le bailleur se constituerait une preuve à lui-même. Le bailleur doit justifier de la réalité des charges par la production des pièces justificatives, si le preneur les demande[3].
C’est que juge la Cour de cassation dans l’arrêt présentement commenté. Lors de la liquidation annuelle des charges, le bailleur s’était borné à produire un « relevé de compte de charges », sans produire les justificatifs des consommations d’eau et de la taxe d’ordures ménagères. Les juges du fond condamnèrent la société bailleresse à rembourser à la société locataire les provisions sur charges qui avaient été réglées, vu l’absence de pièces justificatives.
Il ne s’agit là que d’une application des règles élémentaires du droit commun des contrats : le créancier doit justifier de sa créance. Aux termes de l’article 1315 du Code civil : « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ». Le créancier qui invoque une créance doit la prouver, par la production des pièces justificatives. Le débiteur qui dit avoir payé doit justifier de son paiement. Le créancier qui a encaissé des sommes qui ne sont pas justifiées doit les restituer.
Ces règles élémentaires du droit des obligations sont suffisantes pour trancher ce type de litige[4]. Il n’était pas nécessaire d’une intervention réglementaire pour rappeler ce que l’on sait déjà.
A cet égard, le décret du 3 novembre 2014 (pris en application de la loi du 18 juin 2014) est redondant, lorsqu’il ajoute à l’article R 145-36 du Code de commerce : «Le bailleur communique au locataire, à sa demande, tout document justifiant des charges, impôts, taxes et redevances imputés à celui-ci ». C’est une évidence. Celui qui allègue une créance doit la prouver, ou à défaut rembourser les sommes perçues. Un texte spécial n’était pas nécessaire. Les arrêts de la Cour de cassation du 5 novembre 2014 et du 9 juin 2015 ont été rendus avant la loi Pinel, sur le seul fondement du droit commun des contrats.
II – SUR LA CLAUSE DE RÉVISION.
La clause du bail concernant la révision du loyer était mal rédigée. Le bail prévoyait une première révision au bout de trois ans et stipulait que « le loyer continuera à être révisé à l’issue de chaque période triennale ». La clause était ambigüe : s’agissait-il d’une clause d’indexation triennale ou d’un renvoi à la révision légale prévue à l’article L.145-38 du Code de commerce ?
La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de statuer sur des clauses mal rédigées [5]. Pour que la clause ambigüe soit qualifiée de clause d’indexation, il faut qu’elle comporte une périodicité et qu’elle mentionne un indice permettant une application automatique de la convention. En l’espèce, la clause n’impliquait pas une prise d’effet automatique ou de plein droit du réajustement du loyer et ne pouvait donc pas être qualifiée de clause d’indexation. [1]
On appelle « ordre privé » la réglementation contractuelle figurant dans les contrats d’adhésion que sont la plupart des baux commerciaux. Voir : « Ordre public, ordre privé », Gaz. Pal. des 28 et 29 septembre 2012, p.7.[2] Cass. 3e civ. 5 novembre 2014, n°13-24.451, Administrer décembre 2014, p. 32, note J-D. Barbier ; Rev.loy.2014, p.517, note B. de Lacger ; Loyers et copr. 2014, comm.298.[3] Ce serait sans doute trop exiger que d’espérer une production spontanée des pièces justificatives. [4] Le Professeur J. Monéger rattache la sanction à la notion de cause. En l’absence de justificatifs, les provisions ne sont pas causées : RTD Com. 2014-4, Chronique Baux Commerciaux, n° 3.
[5] Cass. 3e civ. 5 février 1992, n° 89-20.378, Gaz. Pal. 1992.1.369 ; Cass. 3e civ. 20 juillet 1994, n°92-19.382, Gaz. Pal. 1995. 2. somm. p.11, notes J.-D. Barbier.