Pour certains établissements, l’épidémie de coronavirus constituera le coup de grâce après la commotion des grèves et les plaies des manifestations de gilets jaunes. Les petits commerçants déposeront le bilan. Les enseignes plus importantes devront envisager de se séparer de certaines boutiques. Pour mettre fin à un bail et restituer des locaux, le locataire peut classiquement signifier un congé pour le terme d’une période triennale, pour la fin du bail, ou en tacite prolongation, ou bien exercer sans préavis son droit d’option dans le cadre d’un renouvellement. Indépendamment de ces cas classiques, la pandémie actuelle peut justifier la mise en œuvre d’autres moyens de résiliation.
– LA RÉSILIATION POUR IMPRÉVISION
Elle est prévue à l’article 1195 du Code civil. Le texte envisage « un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat » qui rendrait « l’exécution excessivement onéreuse pour une partie ». Les dispositions gouvernementales interdisant l’accès aux boutiques et aux centres commerciaux constituent à l’évidence un changement de circonstances imprévisible et ce texte peut donc être invoqué pour obtenir du juge qu’il mette fin au contrat « à la date et aux conditions qu’il fixe ». Ce texte serait fort utile s’il pouvait être mis en œuvre, ce qui n’est pas le cas, le législateur n’ayant guère le sens pratique. Il faudrait en effet, conformément au texte, engager des négociations préalables, puis saisir le juge, et à l’issue d’une longue procédure, c’est-à-dire dans un an ou deux, pouvoir restituer les clés. De plus, une incertitude subsiste sur le caractère d’ordre public ou non de ce texte, certains baux en excluant l’application[1]. Cette voie, qui ne concernerait en outre que les baux conclus depuis le 1er octobre 2016, est difficilement praticable.
– LA RÉSILIATION UNILATÉRALE
Elle peut être mise en œuvre par les locataires. Il faut distinguer les baux conclus antérieurement ou postérieurement au 1er octobre 2016.
A – BAUX POSTÉRIEURS AU 1er OCTOBRE 2016 L’article 1226 du Code civil permet au locataire « à ses risques et périls » de résilier le contrat de bail par voie de notification . Le texte prévoit « sauf urgence » une mise en demeure préalable au débiteur, mais cette mise en demeure n’a pas de sens en l’occurrence : le locataire ne peut pas mettre en demeure le bailleur de fournir un local accessible à la clientèle, puisque la réglementation actuelle interdit précisément cet accès. Conformément à la jurisprudence traditionnelle, une mise en demeure n’est pas nécessaire lorsque l’obligation du débiteur (l’obligation de délivrance du bailleur) ne peut pas ou ne peut plus être exécutée. Ce mécanisme est intéressant puisqu’il permet de résilier le contrat sans saisir le juge. Le locataire peut éviter les délais d’attente imputables à une institution sinistrée. Aux termes du dernier alinéa de l’article 1226 du Code civil, ce serait au bailleur de saisir le juge « pour contester la résolution » et il faudrait alors que le locataire « prouve la gravité de l’inexécution ». Les juges apprécieront la gravité de la situation en considération, notamment, de la situation financière du locataire privé d’exploitation pendant deux mois, voire plus, puis privé d’une clientèle partiellement confinée. Par conséquent, la résiliation sur ce fondement peut être mise en œuvre par les locataires sans grande difficulté.
B – BAUX ANTÉRIEURS AU 1er OCTOBRE 2016
En principe, la résiliation unilatérale n’était pas admise. Toutefois, un courant doctrinal et jurisprudentiel déjà ancien (il y a des études qui datent de 1997) était favorable à cette résiliation unilatérale. Comme l’écrit le Professeur Alain Bénabent, la résiliation unilatérale pouvait être admise « selon un courant plus récent, en présence d’un manquement grave d’une partie, autorisant l’autre à décider de la résolution, par une sorte de prolongement renforcé de l’exception d’inexécution »[2]. Or, la jurisprudence a tendance à résoudre les litiges de droit commun anciens, à l’éclairage des nouvelles dispositions du Code civil. Certes, le manquement du bailleur ne lui est pas imputable, puisqu’il subit « le fait du prince ». Mais l’impossibilité de délivrer un local accessible au public reste un manquement suffisamment grave. La résiliation unilatérale pourrait donc être également envisagée pour les baux antérieurs à 2016, malgré l’absence de textes.
III – LA RÉSILIATION POUR FORCE MAJEURE
Les parties se trouvent face à un cas de force majeure, puisque le bailleur est placé dans l’impossibilité de délivrer un local conforme à sa destination, en raison de la réglementation actuelle. Les mesures actuelles étant provisoires, le contrat de bail devrait en principe seulement être « suspendu » pendant la période de fermeture[3] Cependant, il est admis que, lorsque le cas de force majeure a des conséquences suffisamment graves, il est possible non pas de suspendre le contrat, mais bien de le résilier. Cela est prévu dans le nouveau Code civil à l’article 1218 : « Si l’empêchement (imputable à la force majeure) est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat ». Comme pour la résiliation unilatérale, le locataire devra démontrer qu’une fermeture pendant deux mois, voire pendant cinq mois pour certains commerces (restauration, établissements de spectacle, etc.) est insupportable : le « retard » de délivrance d’un local conforme est trop important pour permettre la reprise du contrat. Le texte ne précise pas que la résiliation du contrat doive être demandée en justice (contrairement par exemple au dernier alinéa de l’article 1184 ancien du Code civil).
Par analogie avec la résiliation unilatérale, cette résiliation peut être mise en œuvre par le locataire, sans autorisation de justice préalable, et ce serait au contraire au bailleur, s’il entend la contester, d’engager une procédure. Le locataire qui veut mettre en œuvre une résiliation unilatérale, en faisant état notamment de la force majeure, peut donc adresser une signification d’huissier à son bailleur pour faire savoir qu’il résilie le contrat, et lui faire sommation d’assister au rendez-vous d’état des lieux de sortie et de reprise de locaux vidés du matériel et des marchandises. [1] Comme l’écrit Madame Julia Heinich : « Le temps (nécessaire) pour obtenir une révision judiciaire est difficilement compatible avec le rythme de la vie des affaires » (L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les contrats d’affaires : de la force majeure à l’imprévision, D. 26 mars 2020, p.611). [2] Droit des obligations, L.G.D.J 16e éd., p. 309. [3] Voir notre étude : Le sort du loyer commercial face à la pandémie, L’Argus de l’Enseigne du 26 mars 2020 : http://www.argusdelenseigne.com/.