La prise en compte d’une clause visant le préjudice du sous-locataire pour l’estimation de l’indemnité d’éviction
Une société bailleresse a donné à bail des locaux à usage commercial à la société preneuse, qui elle-même a sous-loué les locaux à une société sous-preneuse.
La société bailleresse a notifié à la société preneuse un congé pour procéder à la reconstruction de l’immeuble et a offert une indemnité d’éviction.
La société locataire a assigné la bailleresse en paiement d’une indemnité d’éviction.
La société bailleresse fait grief à l’arrêt de dire que l’indemnité d’éviction sera calculée notamment en fonction des caractéristiques d’exploitation de la sous-locataire, pour son activité exercée dans le local donné à bail, et qu’elle devrait être d’un montant suffisant pour permettre à la locataire d’indemniser sa sous-locataire du préjudice subi par elle en raison du non-renouvellement du bail.
Réponse de la Cour de cassation :
La cour d’appel a énoncé, à bon droit, que les modalités de calcul de l’indemnité d’éviction, lorsqu’elles n’ont pas pour effet de priver la locataire évincée de son indemnisation en cas de non renouvellement du bail ou de limiter forfaitairement par avance son indemnisation et, par voie de conséquence, de limiter directement ou indirectement le droit au renouvellement, ne sont pas contraires à l’ordre public.
Elle a constaté qu’il était prévu au bail une clause selon laquelle l’indemnité d’éviction due au preneur serait, le cas échéant, calculée en fonction des caractéristiques d’exploitation du sous-locataire et devrait être d’un montant suffisant pour lui permettre d’indemniser le sous-locataire du préjudice subi par ce dernier en raison du non renouvellement du bail.
Elle a retenu que si cette clause venait préciser les modalités de calcul de l’indemnité d’éviction, elle n’avait pas pour objet de priver la locataire évincée de l’indemnisation de son préjudice et elle ne venait pas davantage le limiter puisqu’il ne s’agissait pas d’une indemnisation forfaitaire. Elle en a exactement déduit que l’indemnité d’éviction devait être calculée en fonction de cette celle-ci.
NOTE : En application de l’article L.145-14 alinéa 1 du Code de commerce, l’indemnité d’éviction doit être « égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement » (Cass. 3ème civ. 9 octobre 1991, n°90-11.819).L’indemnisation suit le régime du droit commun des obligations : il faut un fait générateur (le refus de renouvellement du bailleur), un préjudice (celui du locataire), et un lien de causalité entre les deux. La jurisprudence précise qu’il faut un préjudice direct, immédiat et personnel. Un préjudice indirect n’est donc pas réparable (voir par exemple, TGI Paris 14 novembre 1995, Gaz. Pal. 1996.2, somm. p.130, note J.-D. Barbier).
En application de ce principe, le locataire principal qui, avec l’agrément du bailleur, a sous-loué une partie des locaux, n’a droit à une indemnité d’éviction que pour la partie des locaux où il exploite personnellement son fonds dans les conditions prévues par le statut (Cass. 3e civ. 21 novembre 2009, n° de pourvoi : 73-12.925, Bull. civ. III p. 331 n°431). Le locataire évincé ne peut donc pas être indemnisé pour les préjudices subis par son sous-locataire : « l’indemnité d’éviction du preneur sortant ne doit réparer que le préjudice qu’il a subi, la cour d’appel, qui a indemnisé le preneur sortant des frais de déménagement des locaux loués par la sous-locataire, des frais de réinstallation qui comprenaient des frais de communication de la sous-locataire et du double loyer qui était en partie supporté par la sous-locataire, a violé le texte susvisé (article L.145-14 C com)» (Cass. 3e civ. 10 octobre 2019, pourvoi n°18-19662).
De plus, l’article L.145-15 précise que toute clause qui porterait atteinte au droit de renouvellement ou à indemnité d’éviction du locataire serait réputé non écrite. Est ainsi nulle (aujourd’hui réputée non écrite) une clause d’un bail mixte faisant renoncer le locataire à toute indemnité à l’expiration du contrat (Cass. 3ème civ. 7 octobre 1987, n°86-11.297). A fortiori, la clause permettant au propriétaire de résilier le bail en limitant l’indemnité d’éviction par le versement d’une indemnité forfaitaire est nulle (Cass. com. 16 juin 1958, Bull. civ. III, n° 248 ; C. Paris 10 novembre 1955, Gaz. Pal. 27 décembre 1955, somm.). De même, la clause fixant une indemnité forfaitaire égale à un an de loyer est également nulle car « elle porte atteinte au droit au renouvellement ou à défaut au paiement de l’indemnité d’éviction » (C. Paris 13 fév. 1961, Rev. loy. 1961, p. 597).
Dans la présente affaire, le bail stipulait : « Le Bailleur et le Preneur conviennent expressément de soumettre le bail aux dispositions des article L.145-1 et suivants du Code de commerce ainsi qu‘aux dispositions non codifiées du décret n°53-960 du 30 septembre 1953. Les parties conviennent que l’indemnité d’éviction due au Preneur le cas échéant, sera calculée en fonction des caractéristiques d’exploitation du ou des sous-locataire(s) et devra être d’un montant suffisant pour permettre au Preneur d’indemniser le ou les Sous-locataires du préjudice subi par ces derniers en raison du non-renouvellement du Bail ».
En application du principe de réparation d’un préjudice direct du locataire et au vu du caractère d’ordre public de l’indemnité d’éviction, l’on aurait pu considérer que cette clause déterminant par avance la méthode de calcul de l’indemnité d’éviction, au surplus par rapport au préjudice du sous-locataire, n’était pas valable.
La Cour de cassation en a jugé autrement, considérant que les parties peuvent déterminer par avance dans leurs baux les modalités de calcul de l’indemnité d’éviction qui leur semblent les plus appropriées, à partir du moment où cela ne prive pas le locataire de l’indemnisation de son préjudice et que son indemnité n’est pas limitée dans la cadre d’une indemnisation forfaitaire.
Jusqu’à présent seuls les Juges du fond disposaient d’un pouvoir souverain pour apprécier le calcul de l’indemnité d’éviction et la méthode la plus appropriée (Cass. 3ème civ.13 janvier 2015, n°13-25.427 ; Cass. 3ème civ. 30 mai 2017, n°16-10.513 ; Cass. 3ème 4 janvier 2012, n°10-27.752).
Par Maître Rémy CONSEIL, Avocat au Barreau de PARIS, Associé, BARBIER ASSOCIES.