L’application des augmentations de loyer de 10 % par an en cas de déplafonnement n’entre pas dans la fonction du Juge des loyers
Les bailleresses de locaux commerciaux donnés à bail à une société preneuse ont saisi le juge des loyers commerciaux en fixation du loyer du bail renouvelé.
La locataire a demandé, à titre subsidiaire, de fixer le loyer déplafonné à une certaine somme et de dire que les augmentations de loyer en résultant ne pourront être supérieures à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente.
La Cour d’appel a fixé le prix du loyer du bail renouvelé et fixer chaque année le montant du loyer dû par application des paliers de 10 %.
Les bailleresses se sont pourvues en cassation.
Réponse de la Cour de cassation :
Vu l’article L.145-34, dernier alinéa, en cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33 du code de commerce ou s’il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d’une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente.
Vu l’article R.145-23 du Code de commerce, les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les premières.
Le dernier alinéa de l’article L. 145-34 n’instaure, dans les cas qu’il détermine, qu’un étalement de la hausse du loyer qui résulte du déplafonnement, sans affecter la fixation du loyer à la valeur locative.
Ce dispositif étant distinct de celui de la fixation du loyer, il n’entre pas dans l’office du juge des loyers commerciaux de statuer sur son application.
Pour fixer le montant du bail renouvelé dû par la locataire aux sommes de 22 417, 43 euros à compter du 1er janvier 2015, de 24 659,17 euros à compter du 1er janvier 2016, de 27 125, 09 euros à compter du 1er janvier 2017 et de 29 500 euros à compter du 1er janvier 2018, l’arrêt retient que le loyer du bail renouvelé ne s’établira à ce dernier montant qu’à compter du 1er janvier 2018 en application du dernier alinéa de l’article L. 145-34.
En statuant ainsi, alors que saisie de l’appel d’un jugement du juge des loyers commerciaux, elle ne pouvait statuer que dans la limite des pouvoirs de celui-ci, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
NOTE : La Cour de cassation reprend ici les termes de son avis de 2018 portant sur la limitation des augmentations de loyer à 10% par an en cas de déplafonnement, en application du dernier alinéa de l’article L.145-34 du Code de commerce : « ce dispositif étant distinct de celui de la fixation du loyer, il revient aux parties, et non au juge des loyers commerciaux dont la compétence est limitée aux contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, d’établir l’échéancier de l’augmentation progressive du loyer que le bailleur est en droit de percevoir » (Avis Cass. 3ème civ. 9 mars 2018, n°17-70.040).
Pour rappel, le dernier alinéa de l’article L.145-34 n’est pas d’ordre public (Avis Cass. 3ème civ. 9 mars 2018, n°17-70.040) et ce dispositif est conforme à la Constitution et ne méconnaissait aucun droit ou liberté que celle-ci garantie (Cons. Const. 7 mai 2020, n°2020-837 QPC).
En l’espèce, une cour d’appel statuant en matière de loyer, avait fixé le loyer du bail renouvelé puis avait elle-même appliqué les augmentations de 10 % par an au loyer déplafonné. Ce faisant, la cour avait fixé le loyer du bail renouvelé à 29.500 € à compter du 1er janvier 2015 puis avait à nouveau fixé le loyer du bail renouvelé dû par le locataire à 22.417,43 € à compter du 1er janvier 2015, à 24 659,17 € à compter du 1er janvier 2016, à 27 125, 09 € à compter du 1er janvier 2017 et à 29 500 euros à compter du 1er janvier 2018, précisant que le loyer du bail renouvelé ne s’établira à ce dernier montant qu’à compter du 1er janvier 2018, en application du dernier alinéa de l’article L. 145-34.
La Cour de cassation lui reproche d’avoir fixé les loyers année après année en appliquant l’augmentation de 10 % jusqu’à atteindre la valeur locative alors que sa compétence est limitée à la fixation du loyer (en l’espèce, à la valeur locative), sans pouvoir appliquer le dispositif d’étalement de la hausse. La cour d’appel ne devait fixer qu’un seul loyer, celui à la date du renouvellement du bail.
En cas de désaccord des parties sur le compte, à quel juge faudra-t-il alors s’adresser : au Juge des référés (en l’absence de contestation sérieuse), au Tribunal judiciaire (s’il faut trancher préalablement une question de droit), au Juge de l’exécution (en cas d’exécution forcée) ?
Comme toute action fondée sur le statut des baux commerciaux, celle fondée sur le dernier alinéa de l’article L.145-34 du Code de commerce devrait se prescrit par deux ans à compter de la date de renouvellement du bail, puisque c’est à compter de cette date que ce dispositif a vocation à s’appliquer. Or, si le locataire ne peut pas demander l’étalement de la hausse de son loyer plafonné devant le Juge des loyers commerciaux, il devra attendre la fin de la procédure en fixation, pour faire cette demande au fond ou en référé. Mais si la procédure devant le Juge des loyers dure plus de deux ans à compter de la date du renouvellement, le locataire ne serait-il pas alors prescrit…à moins que le délai commence à courir à compter de la date du jugement de fixation.
Par Rémy CONSEIL, Avocat au Barreau de PARIS, associé, BARBIER ASSOCIES.