Le juge peut accorder des délais au locataire et ordonner la suspension des effets d’une clause résolutoire, non seulement en cas de défaut de paiement des loyers et charges, mais encore pour tout manquement du locataire à ses obligations.
ARRÊT
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 30 mars 2023), rendu en référé, sur renvoi après cassation (3e Civ., 12 janvier 2022, pourvoi n° 20-22.562), le 2 août 2004, la société civile immobilière La Boal, aux droits de laquelle est venue la société civile immobilière [3] (la bailleresse), a donné en location à M. [J], aux droits duquel est venu M. [U] (le locataire), un local commercial à usage de restaurant.
2. Le bail stipule que, sauf les exceptions prévues par la législation en vigueur, les lieux loués doivent toujours rester ouverts, exploités et achalandés.
3. Après avoir, le 10 janvier 2019, fait constater la fermeture du restaurant, la bailleresse a, le 24 du même mois, délivré au locataire un commandement de reprendre l’exploitation du fonds, visant la clause résolutoire prévue au bail.
4. La bailleresse a assigné le locataire en constatation de la résiliation du bail. Le locataire a formé une demande de délai avec suspension des effets de la clause résolutoire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. Le locataire fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande de délai avec suspension des effets de la clause résolutoire, alors « que l’article L. 145-41, alinéa 2, du code de commerce autorise le juge à accorder des délais au preneur à un bail commercial, et par conséquent à suspendre la réalisation et les effets de la clause résolutoire, quel que soit le manquement reproché, y compris à une obligation de faire ; qu’en décidant néanmoins, pour refuser de suspendre les effets de la clause résolutoire mise en œuvre pour un défaut d’exploitation du fonds, que l’article L. 145-41, alinéa 2, du code de commerce, qui permet au juge, en accordant des délais au preneur, à suspendre la réalisation et les effets de la clause résolutoire, ne s’appliquait qu’en cas de résiliation du bail pour non-paiement des loyers et charges, et non pour manquement à une obligation de faire, la cour d’appel a violé l’article L. 145-41, alinéa 2, du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l’article L. 145-41, alinéa 2, du code de commerce :
7. Il résulte de ce texte que la suspension des effets d’une clause résolutoire peut être décidée par le juge, quel que soit le manquement à ses obligations reproché au locataire.
8. Pour rejeter la demande de délai avec suspension des effets de la clause résolutoire, l’arrêt retient que l’article L. 145-41, alinéa 2, du code de commerce ne peut trouver à s’appliquer qu’en cas de résiliation du bail pour non-paiement des loyers ou des charges, et que tel n’est pas le cas en l’espèce puisque le commandement délivré visait simplement l’obligation de reprendre l’activité et que c’est de ce chef qu’il a produit son effet résolutoire.
9. En statuant ainsi, la cour d’appel, qui a refusé d’examiner cette demande, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE (…)
Arrêt n° 70 F-B
Décision attaquée : CA Aix-en-Provence (chambre 1-2) 30 mars 2023
M [X] [U] [P] c. SCI [3]
Mme Teiller, prés.; Mme Gallet, rapp. ; SCP Richard et SARL Le Prado-Gilbert, av.
COMMENTAIRE
Le bailleur reprochait à son locataire un défaut d’exploitation du fonds de commerce, en violation des clauses contractuelles du bail commercial. Il lui avait fait délivrer un commandement de reprendre l’exploitation, en visant la clause résolutoire du bail.
Par l’arrêt présentement commenté, la Cour de cassation rappelle que le locataire peut demander au juge des délais d’exécution et la suspension des effets de la clause résolutoire : cette faculté n’est pas limitée aux défauts de paiement du loyer, mais s’applique à toute infraction contractuelle.
Il s’agit d’une jurisprudence bien établie. La Cour de cassation a jugé depuis longtemps que les dispositions de l’article 25 du décret du 30 septembre 1953 (aujourd’hui article L. 145–41 du Code de commerce) donnent « au juge le pouvoir d’accorder des délais pour suspendre les effets de la clause résolutoire, quel que soit le motif invoqué comme manquement du preneur à ses obligations »[1].
Cependant, la cour d’appel avait rejeté la demande de délai présentée par le locataire, en estimant que des délais ne pouvaient être accordés que « pour non-paiement des loyers et charges, non pour manquement à une obligation de faire ».
Cette décision est cassée. Pourtant, il est vrai que si l’on s’en tient aux dispositions du Code civil, on pourrait croire que des délais ne devraient pouvoir être accordés, comme l’avait jugé la cour d’appel, que pour le paiement d’une dette, non pour une obligation de faire. Mais les dispositions du Code civil doivent être conjuguées avec celles du Code de commerce.
I – Les dispositions du Code civil
Les dispositions du Code de commerce, concernant la clause résolutoire, renvoient à celles du Code civil.
En effet, l’article L. 145–41 alinéa 2 du Code de commerce, qui permet au juge de suspendre les effets d’une clause résolutoire en accordant des délais, précise que la demande doit être présentée « dans les formes et conditions prévues à l’article 1343-5 du Code civil ». Or, cet article figure sous une sous-section intitulée « Dispositions particulières, aux obligations de sommes d’argent » et le texte vise expressément « le paiement des sommes dues », les « échéances » et « le paiement de la dette ».
Ainsi, si l’on s’en tenait aux seules dispositions du Code civil, des délais ne pourraient être accordés que pour le paiement de sommes d’argent.
Or, en l’espèce, le bailleur ne reprochait pas à son locataire un défaut de paiement, mais un défaut d’exploitation.
Pour que des délais puissent être accordés au locataire pour reprendre l’exploitation, la Cour de cassation fonde sa décision, non pas sur les textes du Code civil, mais sur l’article L. 145–41 du Code de commerce.
II – les Dispositions du code de commerce
Les textes du Code de commerce concernant le jeu de la clause résolutoire ont évolué.
Avant la loi n° 89–1008 du 31 décembre 1989, l’article 25 du décret du 30 septembre 1953 (actuellement L. 145-41 du Code de commerce) qui réglementait la mise en œuvre des clauses résolutoires, ne s’appliquait qu’au « défaut de paiement du loyer ».
Ainsi, le champ d’application du texte, qu’il s’agisse de la délivrance du commandement ou des pouvoirs du juge pour accorder des délais, était limité aux seuls loyers impayés. Le texte ne s’appliquait pas aux autres infractions, même s’il s’agissait d’un défaut de paiement des charges et des taxes[2].
Mais le texte fut réformé. La loi n° 89–1008 du 31 décembre 1989 supprima, dans l’article 25 du décret du 30 septembre 1953 (art. L. 145–41 du Code de commerce) les mots « à défaut de paiement du loyer aux échéances convenues ». Par conséquent, depuis lors, le nouveau texte peut s’appliquer à toute infraction, qu’il s’agisse d’une obligation de faire ou d’un défaut de paiement des charges ou des accessoires[3].
Le premier alinéa de l’article 25 du décret du 30 septembre 1953 (art. L.145–41 du Code de commerce), concernant les conditions de mise en œuvre de la clause résolutoire, ayant ainsi été étendu à tout manquement du locataire, la Cour de cassation retint une lecture identiquement extensive du second alinéa, relatif aux délais et à la suspension des effets de la clause résolutoire.
Ainsi, depuis la réforme de 1989, des délais peuvent être accordés au locataire non pas seulement pour payer son loyer, mais aussi, par exemple, pour produire une attestation d’assurance[4].
L’interprétation jurisprudentielle de l’article 25 du décret du 30 septembre 1953 (article L. 145–41 du Code de commerce), est cohérente.
En effet, la clause résolutoire étant soumise à la réglementation statutaire pour toute infraction, il est logique que le juge puisse en suspendre les effets également pour toute infraction.
Or, pour ordonner la suspension des effets de la clause résolutoire, le juge doit nécessairement et préalablement accorder des délais au locataire[5].
Par conséquent, si le juge doit pouvoir suspendre les effets de la clause résolutoire quel que soit le manquement du locataire, il faut qu’il puisse accorder des délais de la même façon quel que soit le manquement.
La jurisprudence de la Cour de cassation résulte ainsi d’une lecture combinée et cohérente des articles 1343-5 du Code civil et L. 145–41 du Code de commerce.
[1] Cass. 3e civ., 27 oct. 1993, n° 91–19.563, D. 1993, inf. rap. 247.
[2] Cass. 3e civ., 25 nov. 1975, Rev. loy. 1976. 95 ; Cass. 3e civ., 10 oct. 1979, Gaz. Pal. 1980.1, panor. 11 ; Cass. 3e civ., 7 févr. 1984, Rev. loy. 1984. 205 ; Cass. 3e civ., 9 déc. 1980, Gaz. Pal. 1981.1. 410, note P.-H. Brault ; Cass. com. 6 janv. 1961, Gaz. Pal. 1961.1. 185 ; Cass. 3e civ., 4 oct. 1973, AJPI 1975. 8.
[3] CA Paris, 4 mai 1990, D. 1990. somm. 259.
[4] Cass. 3e civ. 3 juin 2021, n° 20–14.677, Administrer juill. 2021, p. 22, note J.-D. Barbier ; Cass. 3e civ., 26 sept. 2001, n°00–10.759, Gaz. Pal. 9 févr. 2002, p. 35, note J.- D. Barbier.
[5] Cass. 3e civ., 7 déc. 2004, n° 03–18.144 ; Cass. 3e civ., 25 mai 2023, n° 22–11.315.