Cass. 3e civ. 9 janvier 2025, n°23-16698 – Perte de la chose louée. Défaut d’entretien imputable au bailleur.

Le bailleur ne peut pas se prévaloir de la résiliation de plein droit pour perte de la chose louée, lorsque la dégradation des bâtiments est due à un défaut d’entretien qui lui est imputable.

ARRÊT

Faits et procédure

2. Selon l’arrêt attaqué (Caen, 23 mars 2023), [C] [P], aux droits duquel viennent Mmes [E] [P] épouse [K], [F] [Y] épouse [W] et [N] [P], MM. [T] et [D] [P], [X] [Y] et [L] [V], mineur représenté par son père, [A] [V] (le locataire), a pris à bail des locaux situés aux n° [Adresse 6] à [Localité 8], à usage d’hôtel-restaurant pour l’un (n° 5) et de snack pour l’autre (n° 6), qui ont été acquis par la commune de [Localité 8] (la bailleresse) en 2008.

3. Le bail a été renouvelé à compter du 1er juin 2015 pour une durée de neuf années moyennant un loyer annuel de 10 123,44 euros. En 2016, le locataire a signalé des fissures en façade du bâtiment à usage d’hôtel- restaurant et, après avis de la commission de sécurité, le maire de la commune a pris un arrêté de fermeture le 17 juin 2017.

4. Après expertise judiciaire, le locataire a assigné la bailleresse aux fins de remise en état du bien et d’indemnisation de son préjudice. La bailleresse a demandé, à titre reconventionnel, que soit constatée la résiliation partielle du bail pour les seuls locaux à usage d’hôtel-restaurant, sans indemnité pour perte de la chose louée, et que soit fixé le loyer du local à usage de snack.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

5. Le locataire fait grief à l’arrêt de constater que le bail est résilié de plein droit au 19 septembre 2018 pour l’immeuble à usage d’hôtel-restaurant, d’ordonner la libération de cet immeuble et de rejeter ses demandes, alors « qu’ en énonçant, pour faire droit à la demande du bailleur sur le fondement de l’article 1722 du code civil, que si l’expert judiciaire indique que l’origine des désordres tient d’une part, à la vétusté de l’immeuble aggravée par un défaut d’entretien des éléments structurels en maçonnerie relevant de la responsabilité du bailleur, d’autre part à la conception structurelle d’époque inadaptée, et que cette seconde cause est prépondérante en ce qu’elle est à l’origine de l’absence de stabilité de l’immeuble, quand il résulte de ces motifs que l’état actuel de l’immeuble est dû, au moins en partie, à des défauts d’entretien imputables au bailleur, de sorte que la perte de la chose louée, à la supposer acquise, n’est pas due exclusivement à un cas fortuit, la cour d’appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. La bailleresse conteste la recevabilité du moyen. Elle estime qu’il est nouveau et mélangé de fait.

7. Cependant, le locataire soutenait, dans ses conclusions d’appel, que les désordres affectant l’immeuble ne résultaient pas d’un cas fortuit, condition exigée par l’article 1722 du code civil, mais d’un défaut d’entretien de la bailleresse.

8. Le moyen, qui n’est pas nouveau, est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l’article 1722 du code civil :

9. Aux termes de ce texte, si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement.

10. Il est jugé que l’existence d’un vice caché ne peut être assimilé à un cas de force majeure qui a nécessairement une origine extérieure à la chose louée et qu’un cas fortuit n’est pas caractérisé lorsque la dégradation des bâtiments est due à un défaut d’entretien de la chose louée imputable au bailleur (3e Civ., 30 septembre 1998, pourvoi n° 96-17.684, Bull. 1998, III, n° 177 et 3e Civ., 2 avril 2003, pourvoi n° 01-17.724, Bull. 2003, III, n° 74).

11. Pour prononcer la résiliation partielle du bail, l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que, si un défaut d’entretien du bâtiment par la bailleresse est évoqué par l’expert judiciaire, les désordres affectant l’un des immeubles donnés à bail trouvent leur cause prépondérante dans la conception structurelle d’époque inadaptée pour un ouvrage d’une telle hauteur, qui est à l’origine du défaut de stabilité et du danger que présente le bâtiment, de sorte que l’existence d’un cas fortuit est établie.

12. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE (…)

Arrêt n° 6 F-D

Décision attaquée : CA Caen (2ème  chambre civ. et comm.) 23 mars 2023

MM [T] et [D] [P], de Mme [E] [P], tous trois ès qualité, de Mme [N] [P], M. [X] [Y], de Mme [F] [Y], de Mme [F] [Y], de [L] [V] ayants droits de [C] [Z] et de [G] [Z] c. Commune de (localité 8)

Mme Teiller, prés.; Mme Grandjean, rapp. ; SCP Bouzidi et Bouhanna et SCP Foussard et Froger, av.

COMMENTAIRE

Selon l’article 1722 du Code civil, lorsque la chose louée est détruite par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit sans dommages et intérêts. Lorsque la chose louée est seulement détruite en partie, le preneur – et lui seul – dispose d’une option : il peut soit demander la résiliation du bail, soit demander une diminution du loyer, mais ceci toujours sans aucun dédommagement.

Ce texte s’applique par exemple en cas d’incendie, même pendant le maintien dans les lieux du locataire à la suite d’un congé[1].

La perte de la chose louée, peut-être matérielle ou juridique.

Il y a perte matérielle de la chose louée lorsque celle-ci ne peut plus être réparée ou lorsque le coût des réparations excède la valeur de l’immeuble[2].

Il y a perte juridique de la chose louée lorsque les locaux ne peuvent plus être utilisés conformément à leur destination en raison d’une décision de l’autorité administrative[3], le locataire étant mis dans l’impossibilité d’utiliser la chose louée « par suite de l’application d’une disposition légale intervenue en cours de bail »[4].

Dans l’affaire commentée, le bail portait sur des locaux à usage d’hôtel restaurant. L’immeuble avait été vendu à la commune dont il dépendait. Il relevait du domaine privé de la commune. En 2016, le locataire signala l’apparition de fissures sur la façade de l’immeuble. Après visite de la commission de sécurité, la Mairie prit un arrêté de fermeture en juin 2017.

La situation était particulière, puisque la commune, propriétaire de l’immeuble, avait la double qualité de bailleur privé et d’autorité locale. Une expertise judiciaire fut ordonnée.

L’expert estima que l’état de péril avait deux causes : d’une part, la vétusté de l’immeuble, aggravée par un défaut d’entretien des éléments structurels ; d’autre part, une conception structurelle ancienne inadaptée, c’est-à-dire un vice caché.

Le locataire avait assigné la bailleresse pour demander l’exécution des travaux nécessaires. La commune bailleresse avait répondu en demandant la résiliation du bail sans indemnité, sur le fondement de l’article 1722 du Code civil en raison de la perte de la chose louée.

La cour d’appel avait jugé que le bail se trouvait résilié de plein droit en raison de la perte de la chose louée. Elle avait considéré que la cause principale du défaut de stabilité et du danger que présentait le bâtiment, résidait dans la conception structurelle d’époque inadaptée pour un ouvrage d’une telle hauteur.

Mais, à l’appui de son pourvoi, le locataire faisait valoir que le bailleur était responsable de l’état du bâtiment qui souffrait d’un défaut d’entretien ancien.

En effet, d’une part, même lorsque des travaux de remise en état sont d’un montant disproportionné par rapport à la faible valeur de l’immeuble, la Cour de cassation juge que l’article 1722 du Code civil ne peut pas être invoqué par le bailleur : « La dégradation des bâtiments était due à un défaut d’entretien imputable au bailleur qui ne pouvait dès lors prétendre que la remise en état était hors de proportion avec la valeur actuelle de ces bâtiments qui n’était que la conséquence de sa négligence »[5].

D’autre part, l’article 1722 ne s’applique que dans l’hypothèse d’un « cas fortuit ». Or, « l’existence d’un vice caché ne saurait être assimilée à un cas de force majeure, lequel a nécessairement une origine extérieure à la chose louée »[6].

Ainsi, en cassant l’arrêt de la Cour d’appel, la Cour suprême confirme que les dispositions relatives à la perte de la chose louée, qui permettent la résiliation du bail sans indemnité, ne peuvent pas être invoquées par le bailleur en cas de vice caché ou de défaut d’entretien de sa part.


[1] Cass. 3e civ. 1er avr. 2008, Administrer juin 2008, p. 31, note J.-D. Barbier.

[2] Cass. 3e civ. 3 nov. 2021, n° 2020493, Gaz. Pal. 1er mars 2022, page 59, note J.-D. Barbier ; Cass. 3e civ. 23 juin 2016, n° 15–15.348, Administrer juill. 2016, p. 27, note J.-D. Barbier. Pour un hôtel : Cass. 3e civ. 20 déc. 2018, n° 16-23.449, Administrer févr. 2019, p. 24, note J.-D. Barbier.

[3] Exemple : transfert des Halles de Paris, TGI Paris, 20 janv. 1971, Gaz. Pal. 1971.2.684.

[4] Cass. 3e civ, 12 mai 1975, n° 73–14.051.

[5] Cass. 3e civ. 30 sept. 1998, n° 96-17.684.

[6] Cass. 3e civ. 2 avr. 2003, n° 01-17.724.

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