RÉSUMÉ. Le locataire ayant violé les clauses du bail et du règlement de copropriété et provoqué des nuisances, la résiliation judiciaire du bail peut être prononcée à la demande du Syndicat des copropriétaires sur le fondement de l’action oblique. COMMENTAIRE PAR JEHAN-DENIS BARBIER. Les locaux concernés étaient ainsi désignés dans le règlement de copropriété : “L’ensemble du local à usage de garage occupe au sous-sol une superficie totale de 1251 m² environ, qui doivent être aménagés en boxes particuliers représentant 48/1000èmes et la partie restante à usage de garage proprement dite”. Le règlement de copropriété précisait également que les baux consentis par les propriétaires devaient contenir l’engagement des locataires de se conformer strictement aux règlements de l’immeuble sous peine de résiliation de leurs baux. Or, le propriétaire de ce lot en sous-sol le donna à bail à une société commerciale pour exploiter un fonds de carrosserie et de peinture automobile. Le bail stipulait qu’il appartenait au preneur d’obtenir les autorisations administratives nécessaires, ainsi que les autorisations de la copropriété pour l’exercice de son activité. De fait, la société locataire ne demanda aucune autorisation, entreprit son activité de carrosserie, tôlerie, mécanique automobile, peinture et vente de voitures automobiles. Toujours sans autorisation, le garagiste perça un gros mur et créa une fosse de décantation dans les parties communes de l’immeuble. Les copropriétaires se plaignirent de nuisances causées par cette activité irrégulière. Le propriétaire bailleur ne réagissant pas aux réclamations de la copropriété, cette dernière prit l’initiative d’engager elle-même une procédure à l’encontre du locataire. Il est admis que le syndicat de copropriétaires dispose lui-même d’une action directe contre le locataire d’un copropriétaire, lorsqu’il s’agit de faire cesser un trouble (1), mais en l’occurrence, le syndicat des copropriétaires exerça, non pas son action directe, mais une action oblique, sur le fondement de l’article 1166 du Code civil. Selon ce texte, par dérogation à l’effet relatif des contrats, “les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne”. L’action oblique permet à un créancier d’agir contre un tiers, débiteur de son débiteur, lorsque ce dernier est négligent et n’agit pas lui-même. Dans cette relation tripartite, le syndicat des copropriétaires est le créancier, le copropriétaire bailleur est le débiteur, et le locataire est le tiers. La Cour de cassation décide que le syndicat des copropriétaires peut effectivement poursuivre la résiliation judiciaire du bail, aux lieu et place du bailleur lui-même, dans le cadre de cette action oblique. La Cour de cassation reprend une jurisprudence qui avait déjà été remarquée, au visa de l’article 1166 du Code civil, et commentée par M. le professeur J-L. Aubert : “Après avoir relevé que (la société locataire) avait contrevenu aux obligations découlant de son bail et que ses agissements, qui causaient un préjudice aux autres copropriétaires, étaient en outre contraires au règlement de copropriété, l’arrêt qui retient que ce règlement déclare chaque copropriétaires responsable des agissements répréhensibles de ses locataires, en a exactement déduit qu’en raison de la carence (des bailleurs), le syndicat des copropriétaires avait le droit d’exercer l’action en résiliation du bail” (2). Ce cas appelle trois réflexions. 1°- L’option forcée L’article 1166 du Code civil ne permet pas au créancier d’exercer les droits et actions “exclusivement attachés à la personne” du débiteur. On enseigne classiquement que l’action oblique ne doit pas tenir en échec le principe de la libre gestion de ses propres affaires par le débiteur. L’action oblique permet au créancier d’agir à la place du débiteur négligent, mais dans des circonstances exceptionnelles, et ne doit pas permettre une ingérence abusive dans ses affaires. Notamment, en principe, l’action oblique ne permet pas de contraindre un débiteur à exercer une option. L’exercice d’une option entraînerait “un changement de la situation juridique du débiteur” ce qui n’est pas acceptable dans le cadre d’une action oblique car, si le créancier peut exercer les droits existants dans le patrimoine de son débiteur, il ne peut pas “apporter des modifications à ce patrimoine” (3). Or, en cas d’infraction commise par le locataire, le bailleur dispose d’une option : soit poursuivre la résiliation du bail ; soit au contraire en poursuivre l’exécution en demandant la cessation de l’infraction et des dommages-intérêts éventuels. On peut considérer que la résiliation du bail va modifier l’état du patrimoine du bailleur, puisqu’elle fait disparaître la propriété commerciale qui amputait son patrimoine. La Cour de cassation admet néanmoins l’action oblique en résiliation. 2°- Les moyens de défense du locataire . Dans le cadre d’une action oblique, le syndicat des copropriétaires n’exerce pas ses propres droits, mais les droits du bailleur. Dès lors, le locataire peut opposer à la copropriété tous les moyens qu’il aurait pu opposer à son bailleur. En l’occurrence la société locataire aurait pu contester les clauses de son bail mettant à sa charge l’obligation d’obtenir les autorisations administratives et de la copropriété nécessaires à son activité. En effet, l’obligation de délivrance tient à la nature même du bail et le bailleur ne peut pas, en principe, en transférer la charge à son locataire (4). Mais on voit bien que ce moyen est, en pratique, difficile à opposer à la copropriété. Si le locataire peut rappeler à son propriétaire qu’il a lui-même autorisé l’exploitation d’un fonds de commerce de carrosserie et peinture et qu’il lui doit la délivrance d’une chose conforme, l’argument est plus difficilement opposable à la copropriété, puisqu’une telle activité est interdite par le règlement de copropriété. On voit ici que l’on glisse de l’action oblique vers l’action directe.rnrnrn3°- La faculté de transiger Si la copropriété exerce l’action du bailleur, ce dernier n’en est pas pour autant dessaisi. Il conserve lui-même la faculté d’agir et il conserve la libre disposition de ses droits. L’action en résiliation engagée par la copropriété peut trouver ici sa limite. Le bailleur conserve la faculté de transiger avec son locataire, à condition que cette transaction n’intervienne pas en fraude des droits de la copropriété. Ainsi, le bailleur et le preneur pourraient passer un nouvel accord, mettant fin aux infractions reprochées par la copropriété, et pourraient conclure un nouveau bail. (1) En ce sens voir J.-L. Aubert, note sous Cass. 3e civ. 14 novembre 1985, D. 1986, p. 369 ; J-P. Mantelet, Louage immobilier et statut de la copropriété, Administrer février 1994, p. 15 ; Cass. 3e civ. 14 février 1996, Mangin c. Syndicat des copropriétaires du 86 avenue de Wagram à Paris. (2) Cass. 3e civ. 14 novembre 1985, D. 1986, p. 369, note J.-L. Aubert. (3) Starck, Roland et Boyer, Obligations, régime général, n° 640.rnrn(4) Voir J.-P. Blatter, La délivrance de la chose louée et la responsabilité du bailleur, Loyers et copr. novembre 2000, p.4 ; Cass. 3e civ. 1er juin 2005, Administrer août-septembre 2005, p. 43, notre B. Boccara et D. Lipman-Boccara ; Cass. 3 civ. 18 mai 2005, Rev. Loy. 2005, p. 384).